Airbnb en France : une révolution silencieuse

 

En l’espace d’une décennie, Airbnb est passé du statut de curiosité numérique à celui d’acteur majeur de l’économie touristique française. D’abord perçu comme un moyen malin de voyager autrement, la plateforme s’est imposée comme un vecteur d’hébergement structurant, avec une présence massive sur le territoire. Selon une étude menée par Jérôme Fourquet pour le think tank Terram, 81 % des communes françaises proposent aujourd’hui au moins une annonce sur Airbnb. Une couverture quasi totale, qui bouleverse les équilibres traditionnels du tourisme.

Ce phénomène n’a rien d’anecdotique. Il s’inscrit dans un mouvement de fond, porté par une transformation des usages et des attentes des voyageurs. Flexibilité, immersion, autonomie : Airbnb coche toutes les cases du tourisme contemporain. Mais derrière cette réussite se cachent aussi des conséquences territoriales, économiques et sociales majeures. C’est ce que révèle l’étude de l’institut Terram, qui propose une radiographie inédite de « la France Airbnb ».

hébergement alternatif

Airbnb, n’est plus seulement un hébergement « alternatif ».

 

 

 

Un maillage territorial inédit et profond

 

Longtemps, le tourisme se concentrait dans les pôles historiques : Paris, la Côte d’Azur, les Alpes, les grandes villes. Avec Airbnb, la logique s’est inversée. La plateforme a permis à des territoires oubliés, voire délaissés, de revenir dans le jeu touristique. Grâce à une interface simple et mondiale, le moindre hameau du Cantal peut aujourd’hui capter des visiteurs du monde entier.

Des chiffres impressionnants illustrent cette dynamique. À Moliets-et-Maa, village landais de 1 000 habitants, on compte 70 000 nuitées en 2024. À Saint-Aignan, dans le Cher, la proximité du Zooparc de Beauval permet de dépasser les 73 000 nuitées pour une population de moins de 3 000 habitants. Même Paris, déjà saturée en hébergement, voit certains quartiers atteindre plus de 15 000 nuitées pour 1 000 habitants. Ce type de ratio reflète une intensité touristique autrefois réservée aux stations balnéaires ou de ski les plus célèbres.

 

 

 

Un changement de paradigme dans l’hébergement

 

 

En quelques années, Airbnb a redéfini les codes de l’hébergement touristique. Initialement considéré comme un simple complément aux hôtels, le modèle s’est durablement installé, modifiant la structure même de l’offre. Entre 2018 et 2024, le volume de nuitées réservées via Airbnb a plus que doublé, tandis que le secteur hôtelier, lui, stagnait.

Mais l’intérêt de l’étude Terram est de dépasser l’opposition stérile entre hôtels et plateformes. En réalité, seule une minorité des communes françaises (15,6 %, soit 5 418) dispose d’un hôtel. À l’inverse, plus de 28 000 communes comptent au moins une location Airbnb. Loin de remplacer l’hôtel, la plateforme comble donc des vides structurels. Elle permet à des territoires sans infrastructures touristiques lourdes d’exister sur la carte du tourisme.

 

 

 

Un moteur pour l’économie locale

 

 

Airbnb ne transforme pas seulement l’offre d’hébergement. Il agit comme un levier économique local dans de nombreuses régions. L’étude montre que dans les communes rurales ou semi-rurales, la fréquentation touristique via la plateforme favorise le maintien, voire le développement, de commerces de proximité.

Par exemple, dans les villages de 1 000 à 3 000 habitants, un seuil de 20 000 nuitées annuelles permet de maintenir jusqu’à 10 commerces locaux. Un bar, une boulangerie, un restaurant ou une supérette qui auraient fermé sans l’apport des voyageurs peuvent continuer à exister. Cette revitalisation du tissu commercial est un argument fort en faveur de la location courte durée.

Autre indicateur clé : en 2024, Airbnb a reversé 218 millions d’euros de taxe de séjour à 25 700 communes françaises. Une progression de 16 % par rapport à l’année précédente. Cette fiscalité, souvent réinvestie dans l’entretien ou l’aménagement des infrastructures touristiques, profite directement aux territoires.

 

 

Des tensions croissantes sur le logement

 

 

Mais ce développement a aussi son revers. La montée en puissance d’Airbnb dans certaines zones touristiques crée une pression insoutenable sur le logement permanent. De nombreux biens, auparavant loués à l’année ou habités par des résidents, sont désormais convertis en meublés touristiques.

Résultat : les habitants ont de plus en plus de mal à se loger, notamment les jeunes, les familles ou les travailleurs saisonniers. Les loyers augmentent, les biens disponibles à la vente se raréfient, et les classes populaires sont progressivement repoussées hors des centres-villes. À Marseille, Biarritz, ou dans certains arrondissements parisiens, ce phénomène de « gentrification touristique » devient un enjeu majeur de politique urbaine.

 

 

 

Des outils de régulation encore insuffisants

 

 

Face à cette situation, les pouvoirs publics tentent de réagir. De nombreuses villes mettent en place des règles pour encadrer la location courte durée : enregistrement obligatoire, limitation à 120 jours par an, autorisations spécifiques pour les résidences secondaires, etc.

Mais sur le terrain, l’application de ces régulations reste très inégale. Par manque de moyens, peu de communes disposent des ressources humaines et techniques nécessaires pour contrôler efficacement les annonces. Certaines municipalités préfèrent fermer les yeux, de peur de nuire à l’attractivité locale ou à leurs recettes fiscales.

De leur côté, les plateformes comme Airbnb ne jouent pas toujours le jeu. Des annonces non conformes restent en ligne. Les contrôles sont rarement automatiques. La coopération avec les collectivités locales est souvent partielle. Bref, le cadre existe, mais son efficacité dépend largement de la volonté et de la capacité des territoires à le faire respecter.

 

 

 

Une stratégie d’élargissement inattendue : l’arrivée des hôtels sur Airbnb

 

 

Consciente de ces limites et de la saturation du modèle, la plateforme prend un nouveau virage. Airbnb lance un programme pilote dans plusieurs grandes villes internationales (New York, Los Angeles, Madrid) pour intégrer… des hôtels à son offre.

L’objectif ? Répondre à une demande touristique croissante dans des zones où la location courte durée est désormais fortement encadrée. Selon Brian Chesky, fondateur de la plateforme, ce développement ne vise pas à concurrencer les maisons ou appartements proposés par les particuliers, mais à élargir les cas d’usage : séjours professionnels, réservations de dernière minute, arrivées tardives.

Avec ce nouveau format, Airbnb veut se différencier de Booking ou Expedia. Elle promet une expérience « à la sauce Airbnb » même pour les établissements hôteliers : personnalisation, filtres avancés, choix précis de chambres, services adaptés aux voyageurs d’affaires. Un repositionnement stratégique qui confirme l’ambition de la plateforme de devenir incontournable sur toute la chaîne de valeur de l’hébergement.

 

 

 

Conclusion : réguler pour mieux intégrer

 

 

Loin des caricatures, l’étude menée par Jérôme Fourquet ne présente pas Airbnb comme une menace, mais comme le révélateur d’une transformation sociétale profonde. Le tourisme évolue, les usages changent, et les outils numériques redistribuent les cartes.

Airbnb s’inscrit dans ce mouvement. Il incarne un modèle plus souple, plus localisé, plus accessible. Mais cette flexibilité ne doit pas se faire au détriment de la cohésion sociale ou de l’équilibre territorial. Pour éviter les effets pervers, l’encadrement est indispensable.

Il ne s’agit pas de briser ce modèle, mais de l’adapter, de le recadrer. Territoire par territoire. Commune par commune. En valorisant les formes d’hébergement complémentaires, comme les maisons d’hôtes ou les hôtels différenciés, centrés sur l’accueil humain et l’expérience.

Car au fond, ce que montre « la France Airbnb », c’est qu’un autre tourisme est possible. À condition de le penser intelligemment.

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