La colère monte dans les campagnes. Des troupeaux entiers sont abattus à cause de la dermatose nodulaire. Dans le même temps, nombre d’agriculteurs dénoncent l’accord avec le Mercosur. Ils y voient une concurrence déloyale. Les blocages se multiplient depuis trois jours. Le débat s’enflamme. Pourtant, derrière l’émotion, un sujet stratégique se joue pour l’Europe. Une opportunité industrielle majeure mais une menace agricole réelle. Il faut poser les enjeux avec clarté.
UE–Mercosur : l’heure du choix
Le Mercosur, c’est 300 millions d’hectares cultivés. C’est un géant des protéines et des matières premières. Bœuf, volailles, soja, sucre. Pétrole et minerais. Une industrie qui monte en gamme. En face, l’Union européenne reste une puissance exportatrice qui dispose d’un tissu industriel dense et cherche des relais de croissance. Depuis vingt-cinq ans, les deux blocs tentent de bâtir une vaste zone de libre-échange. L’objectif est ambitieux et concerne environ 750 millions d’habitants et près d’un quart du PIB mondial. Mais au-delà des chiffres, les promoteurs du traité défendent une vision et veulent arrimer des économies, rapprocher des normes. Ils invoquent aussi des valeurs communes.
Le calendrier politique s’accélère
Les chefs d’État et de gouvernement se retrouvent à Bruxelles. La Commission souhaite un feu vert. Sa présidente a même prévu un déplacement au Brésil pour une signature officielle. L’Allemagne soutient la démarche tout comme l’Espagne. Quant à la France, elle mène l’opposition avec la Pologne et la Hongrie qui la suivent. D’autre part, l’Italie s’est également rapprochée de cette ligne. Or la ratification ne se décide pas à l’unanimité. Elle se vote à la majorité qualifiée. Quinze États au minimum. Représentant 65 % de la population de l’Union. Si l’axe Paris–Varsovie–Budapest–Rome tient, l’accord patine et le dossier glissera alors vers un report. Ainsi, le bras de fer politique est ouvert.
Que contient l’accord ?
D’abord, une baisse massive des barrières. Plus de 90 % des droits de douane disparaissent à terme. La transition reste graduelle. Des quotas évolutifs amortissent le choc. Les réductions s’échelonnent sur de longues périodes. Dix-huit ans pour l’automobile électrifiée, par exemple. Les appellations emblématiques sont protégées. Champagne, Cognac, Prosecco et d’autres indications géographiques sont sécurisées. Des mécanismes de sauvegarde existent. Ils peuvent être activés en cas de déséquilibre soudain. Bruxelles assure avoir entendu les agriculteurs. Des garde-fous ont été ajoutés et des procédures de recours sont prévues. Les promoteurs du texte se disent confiants. Ils jugent l’équilibre atteint.
Mais le terrain raconte une autre histoire. Les manifestations d’agriculteurs se propagent. Elles mêlent plusieurs colères. La gestion sanitaire de la dermatose nodulaire touche au cœur du métier. L’abattage préventif traumatise les éleveurs. La compensation tarde parfois. Les contrôles se renforcent. Les coûts de production augmentent. À cela s’ajoute la crainte d’importations plus massives. Le bœuf brésilien devient le symbole de cette peur. Les volumes restent faibles aujourd’hui. Mais l’hypothèse d’un afflux demain inquiète. Le risque porte non seulement sur les prix mais aussi sur les normes. Les consommateurs européens exigent des standards élevés. Les producteurs européens y répondent, mais à un coût supérieur.
La France pousse donc des exigences supplémentaires
Elle réclame des clauses miroirs. Concrètement, elle souhaite aligner les conditions de production. Pas de pesticide interdit ici et autorisé là-bas ni d’antibiotiques hors cadre. Pas de déforestation masquée dans les prix. Elle veut aussi des quotas plus stricts, demande des clauses de sauvegarde plus rapides et sollicite des procédures de suspension simplifiées. Elle insiste sur l’environnement et veut des garanties sur l’Amazonie en rappelant les objectifs climatiques européens. Sans oublier une demande des contrôles traçables et opposables. Derrière ces demandes, une dure réalité s’impose : l’agriculture française perd du terrain.
Mais regardons la balance commerciale. Elle affichait un excédent d’environ 12 milliards d’euros en 2011. Douze ans plus tard, il tombe autour de 5 milliards. La dynamique est préoccupante. En 2025, l’excédent pourrait s’effacer. Le risque d’un déficit existe. Ce serait une première depuis la fin des années 1970. Cette érosion est antérieure au Mercosur. Elle tient à d’autres facteurs. Les coûts énergétiques ont bondi et les normes s’empilent. La concurrence internationale s’est intensifiée. Les exploitations doivent investir pour rester aux standards. La relève se raréfie. L’adaptation climatique demande des capitaux. Dans ce contexte, un accord mal calibré peut faire basculer des filières fragiles.
Pourtant, l’industrie européenne voit grand
Néanmoins, les opportunités d’exportation sont considérables. Machines, équipements, chimie de spécialité, pharmacie, services. Une étude récente chiffre un potentiel de hausse de 37 % des ventes vers le Mercosur à l’horizon de l’accord pleinement effectif. Les constructeurs automobiles surveillent les délais de démantèlement tarifaire et les équipementiers visent des marchés en croissance. Les industriels de la transition énergétique regardent le lithium, le cuivre, l’hydrogène. Ils cherchent des partenariats d’approvisionnement. Ils veulent participer aux chaînes de valeur locales. Les groupes européens se positionnent déjà et demandent de la visibilité et de la stabilité.
Cette divergence d’intérêts traverse l’Europe. Un pays fortement industriel et exportateur poussera pour ouvrir les marchés. Mais un pays à forte tradition agricole demandera des protections. Les deux visions ne sont pas incompatibles. Elles nécessitent un réglage fin. L’enjeu devient alors la mise en œuvre. Un traité ne se résume pas à une liste de tarifs. Il faut des normes, des contrôles, des sanctions, des délais réalistes et des filets de sécurité crédibles. Et surtout, il faut de la réciprocité. Les clauses miroirs constituent ici le cœur du compromis possible. Elles évitent le dumping réglementaire et créent un terrain de jeu plus équitable. Elles exigent, en retour, des capacités d’audit solides.
La question environnementale est centrale
Le Mercosur abrite des écosystèmes clés. L’Amazonie influence le climat mondial. En conséquence, les Européens veulent s’assurer que leurs importations ne financent ni la déforestation ni l’érosion des sols. Des cartes satellites et des certificats de traçabilité existent. Ils doivent devenir la norme. Les entreprises européennes disposent d’outils. Elles savent contrôler leurs chaînes d’approvisionnement et doivent étendre ces pratiques aux flux sud-américains. Le traité peut l’imposer. Il doit prévoir des sanctions graduées. Suspension de préférences. Quotas temporaires. Amendes ciblées. Sans ces leviers, la crédibilité du dispositif s’érode très vite.
Enfin, reste la politique intérieure. Dans chaque capitale, l’agenda social pèse. Les gouvernements veulent apaiser les campagnes. Ils veulent aussi soutenir l’industrie et doivent arbitrer. L’outil budgétaire accompagnera les filières sensibles. De ce fait, les aides à la modernisation seront déterminantes. La montée en gamme reste la meilleure défense. Bien-être animal, qualité sanitaire, origine contrôlée, réduction de l’empreinte carbone. Ces atouts se valorisent si l’information du consommateur est claire. L’État peut renforcer l’étiquetage d’origine et soutenir l’investissement dans la robotique et l’IA. D’autre part, il peut également accélérer les énergies renouvelables sur les exploitations et concentrer l’effort sur les maillons fragiles.
La dermatose nodulaire ajoute une pression immédiate
Toutefois, les abattages sanitaires ne se discutent pas quand la contagion menace. Cependant, ils doivent s’accompagner d’indemnisations rapides et transparentes et s’inscrire dans une stratégie de biosécurité robuste. Vaccination, surveillance, traçabilité des mouvements. Les crises sanitaires sapent la confiance. Elles aggravent le sentiment d’abandon et brouillent le débat commercial. Il faut donc traiter l’urgence et le long terme en parallèle. D’un côté, des réponses sanitaires concrètes et de l’autre, une négociation commerciale resserrée et lisible.
Où placer le curseur ? Trois conditions paraissent indispensables pour bâtir un accord tenable. La première tient à la symétrie normative. Les clauses miroirs doivent être exigeantes, vérifiables et opposables. Elles doivent couvrir les champs sanitaire, phytosanitaire et environnemental. La deuxième concerne les mécanismes de sauvegarde. Leur déclenchement doit être rapide, basé sur des indicateurs de marché objectivés. Les filières doivent connaître les seuils à l’avance. La troisième relève de l’investissement productif. Une part des gains industriels doit financer la transition agricole européenne. La politique commerciale n’a de sens que si elle s’imbrique avec la politique agricole et la politique industrielle.
Il serait illusoire d’opposer commerce et souveraineté
L’Europe ne gagnera pas en puissance en se refermant. Elle ne gagnera pas non plus en sacrifiant ses agriculteurs. Elle doit faire des choix forts : ouvrir des débouchés et protéger ses bases. Cela passe par une exécution précise ce qui demande de la confiance et requiert aussi des résultats visibles et rapides. Si les agriculteurs constatent des contrôles effectifs, des indemnisations justes, et des prix rémunérateurs, la défiance reculera. Si les industriels voient des délais clairs et des normes stables, ils investiront. Le Mercosur peut devenir un laboratoire de cette approche à condition de revoir la copie là où elle pèche encore.
L’ultimatum politique ne doit pas dicter un mauvais compromis. Mieux vaut un report qu’un accord bancal. Mais il serait dommage de perdre une fenêtre de tir. Les chaînes de valeur se reconfigurent. L’Amérique du Sud attire des capitaux. La Chine avance vite. Les États-Unis tissent leurs propres accords. En conséquence, l’Europe ne peut rester immobile. Elle doit conclure quand les garanties sont solides. Mais elle doit s’abstenir lorsqu’elles ne le sont pas. Cette ligne est exigeante. Elle correspond pourtant à l’intérêt bien compris du continent.
À court terme, l’Europe doit apaiser les campagnes.
L’Europe doit sécuriser la biosécurité, accélérer les indemnisations, et accompagner la trésorerie des exploitations touchées par la dermatose nodulaire. À moyen terme, elle doit investir dans la montée en gamme, la robotique, la précision agronomique et la décarbonation. À long terme, elle doit corriger ses dépendances critiques, y compris pour les protéines végétales. En somme, l’accord avec le Mercosur n’est ni un remède miracle ni une catastrophe annoncée. C’est un outil. Il sera jugé à l’aune de ses clauses concrètes et de son exécution.
La balle se joue maintenant à Bruxelles. Les États membres doivent trancher sans naïveté. Ils doivent choisir un texte qui protège sans s’enfermer et accepter des garde-fous robustes et doivent également assumer des ouvertures mesurées. C’est à ce prix que l’Europe pourra conjuguer souveraineté alimentaire et puissance industrielle. Le débat est vif, salutaire et oblige à articuler nos priorités. Il rappelle que l’économie, la démographie, la santé animale, lkes nouvelles technologies et l’environnement sont liés et démontre aussi que la politique commerciale n’est jamais technique. Elle touche au quotidien, aux revenus, à la confiance. C’est pourquoi la clarté et la rigueur doivent guider la décision finale.
