On ne compte plus le nombre d’articles mettant en garde contre le risque de bulle de l’IA. Mais cette inquiétude est-elle vraiment fondée ?
Revenons aux fondamentaux
Les économistes parlent de bulle spéculative lorsque le prix d’un actif grimpe de façon excessive, se détache de sa valeur réelle, puis s’effondre brutalement. L’histoire du capitalisme en est jalonnée. Parfois, ces épisodes déclenchent même des crises bancaires ou financières.
La première bulle documentée est celle des bulbes de tulipe au 17ᵉ siècle, en Hollande. En trois ans, leur prix a progressé d’environ 5 900 %, jusqu’à l’équivalent de 100 000 euros actuels. Il était évident que cette envolée ne pouvait pas durer.
En revanche, la situation devient plus difficile à interpréter lorsqu’une révolution technologique est en cours. Dans ces périodes, il est complexe de fixer un prix à l’innovation. C’est exactement ce que nous vivons aujourd’hui avec l’IA.
Qu’est-ce qu’une bulle ?
De manière classique, une bulle suit plusieurs grandes étapes qui s’enchaînent logiquement.
Tout commence par une phase de confiance. L’économie paraît solide et les investisseurs se montrent optimistes sur les profits potentiels d’un actif. Au 19ᵉ siècle, par exemple, l’essor des chemins de fer suscite un véritable engouement.
Vient ensuite la naissance de la bulle, parfois décrite par le « paradoxe de la tranquillité ». La hausse des prix alimente l’anticipation de nouvelles hausses. Cette dynamique attire de plus en plus d’investisseurs, précisément parce que tout semble aller bien et que chacun se sent rassuré.
Puis arrive l’euphorie, marquée par ce que l’on appelle l’exubérance irrationnelle. Le grand public entre massivement sur le marché, souvent sans bien mesurer les risques, séduit par les gains espérés. L’endettement joue ici un rôle clé, surtout lorsque les taux d’intérêt sont bas. Beaucoup empruntent en pensant rembourser grâce à la hausse future des prix.
Le fameux « moment Minsky »
Enfin, le processus se termine par le krach et le fameux « moment Minsky ». Certains investisseurs réalisent que l’actif est surévalué et cherchent à vendre avant les autres. Ce changement de comportement déclenche une vague de ventes, les prix chutent, la panique se propage et les conséquences peuvent peser sur l’ensemble de l’économie.
Dans le cas des chemins de fer, des investisseurs ont fini par comprendre que les coûts d’infrastructure avaient été sous-estimés et que les compagnies accumulaient trop de dettes. L’enthousiasme est alors retombé, provoquant l’éclatement de la bulle des valeurs ferroviaires. Toutefois, point important : la crise n’a pas stoppé le développement du train. La technologie a continué à s’imposer malgré la correction boursière.
Des différences notables avec l’IA
Chaque grande vague d’innovation s’accompagne d’excès. Certains acteurs dominants se reposent sur leurs acquis et déclinent, d’autres se montrent trop optimistes et en font les frais. L’IA n’échappe pas à cette règle.
Prenons OpenAI, connu du grand public grâce à ChatGPT. Ses prévisions de rentabilité pour 2030 paraissent très ambitieuses, voire irréalistes pour certains observateurs. Cela peut nourrir le doute. Cependant, il faut distinguer le cas d’une entreprise non cotée de celui des grands acteurs de marché.
Regardons, par exemple, Amazon, l’un des géants de l’IA et du cloud. L’entreprise est une véritable machine à cash. Son chiffre d’affaires atteignait 638 milliards de dollars en 2024 et pourrait doubler d’ici 2030, porté à la fois par l’e-commerce, l’expansion du cloud et la publicité. Aujourd’hui, Amazon affiche une marge nette de 10,5 %. Si elle montait à 12 % dans les prochaines années, le bénéfice annuel grimperait à environ 120 milliards de dollars. Dans le même temps, le groupe reste peu endetté et dispose d’un coussin confortable de trésorerie : 54 milliards de dollars fin 2024.
Autre élément clé : la valorisation boursière. Le PER d’Amazon, un ratio souvent utilisé pour évaluer le niveau de prix d’une action, tourne autour de 30. Ce n’est pas particulièrement excessif. Il se situe d’ailleurs au niveau de celui de LVMH. À part quelques exceptions, comme Tesla, la plupart des grands acteurs de l’IA présentent le même type de profil : une rentabilité solide, des bilans plutôt sains et une dette maîtrisée.
Alors, bulle ou pas bulle ?
En résumé, les excès existent toujours en période d’innovation. Des projets surévalués verront leur valeur chuter, certains modèles économiques se révéleront fragiles et quelques acteurs disparaîtront. Cependant, il reste difficile de comparer la situation actuelle de l’IA avec les grandes bulles du passé, où la rentabilité était faible voire inexistante et où la dette atteignait des niveaux inquiétants.
Ce n’est pas le cas aujourd’hui pour la majorité des leaders de l’IA. Le secteur connaîtra sans doute des corrections, peut-être spectaculaires pour certaines valeurs individuelles, mais cela ne signifie pas automatiquement que nous vivons une bulle au sens classique du terme.
Avertissement / Disclaimer
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